Orang-outang

Je rencontre au quotidien nombre de personnes dont l'affection pour les animaux se situe dans une autre dimension que la mienne. Mon métier n'est pas de juger, mais d'accompagner, et pour se faire il est nécessaire d'aimer surtout les gens. Cependant, dans ma vie privée, dont Facebook, j'évite le prosélytisme des plus illuminés.
La ménagerie du Jardin des plantes est un lieu hors du temps, où l'on visite, en même temps que quelques échantillons de beauté naturelle, les conceptions muséales du XIXème siècle : mélange d'éclectisme et de scientisme fleurant bon l'Exposition coloniale.
Ma fille voulait surtout voir les pandas roux, c'est vrai qu'il sont craquants, et au verso de son ticket d'entrée, il y avait un panda roux. Mention spéciale pour le cacatoès noir. Mais la ménagerie est aussi un endroit indigne, où les tortues géantes des Seychelles croupissent dans 20 m² et un crachat, tous les reptiles pouvant être remplacés d'ailleurs par une imitation en plastique tellement il ne bougent pas d'un millimètre...

C'est alors qu'eut lieu ma rencontre avec l'orang-outang. Derrière une vitrine, comme d'autres hominidés qui n'ont pas choisi le métier qu'elles font.
Comme toutes les fois où la vie, de façon inattendue, vous colle la face sur le spectacle d'une misère crue, j'étais, bêtement, dans un profond embarras. Car lui, contrairement à tous les autres spécimens, me regardait.
Et que me transmettait ce regard substantiellement, indiscutablement humain : une détresse lancinante ? une dépression inaccessible?
Non, il était l'exact reflet du mien, strictement gêné.
Mon sentiment a été alors qu'il n'était pas gêné d'être observé, mais qu'il était embarrassé de me voir là, réduit à le scruter dans sa boîte. Que pour lui, ce pauvre monde où je me trouvais était celui des exploiteurs et des voyeurs. Et que le zoo, c'était dehors...

Lorsque, à la sortie du parc, j'ai regardé mon ticket, au verso l'image était celle d'un orang-outang. Alors, j'ai eu envie de vous le dire.